Terreurs Oniriques
Par Shalaevar Xilvyn
Les Chimères
Lors de mes voyages, j’ai rencontré toutes sortes d’êtres, agressifs ou pacifiques, bons ou mauvais. Cependant, rien ne se compare réellement à la nature ambigüe d’une chimère. J’en ai observé plus d’une, ai même été victime de leurs habiletés cauchemardesques, et en suis venue à la conclusion qu’ils appartiennent autant aux royaumes des Enfers qu’aux cours de la Faerie, selon les critères suivants :
D’abord, ces démons se nourrissent des émotions de terreur et de désespoir de leurs victimes en les harcelant sans cesse, nuit après nuit, dans leur sommeil. Cela en soit est suffisant pour les qualifier de créatures démoniaques. Or, contrairement à tous les autres types de démons qui n’ont d’animal que leurs cornes, les chimères présentent des attributs extrêmement bestiaux, rappelant le satyre, le naga et la manticore. En fait, leur apparence est un réel mystère ; c’est comme si elles existaient uniquement dans les cauchemars des faes mentionnées ci-dessus, et que le corps qu’elles revêtent maintenant était né de ces terreurs nocturnes.
La Malédiction de Saint-Castel
Ma première rencontre avec une chimère s’est fait par le plus pur des hasards. J’étais sur le chemin du retour après avoir pourchassé la rumeur d’un puissant poltergeist à Saint-Castel et malgré la nuit, je ne comptais pas m’attarder dans les parages. Le silence dans les rues et ruelles était assourdissant, oppressant, de toute évidence le résultat d’une présence malsaine. J’ai donc été parcourue d’un frisson lorsque, dans ce silence, j’ai perçu un son tranchant, humide, un gargouillement inhumain.
Dans ma profession, lorsque confronté à un élément hors de l’ordinaire, investiguer plus avant est la réponse naturelle. J’ai suivi les bruits jusqu’à une chaumière à la fenêtre de laquelle j’ai pu observer l’intérieur. À la lueur d’une chandelle presque éteinte, j’ai vu un monstre, la queue d’écailles noires battant follement l’air, penché sur la gorge d’un jeune homme alité, une large traînée de sang coulant au sol entre ses sabots. Je n’ai rien pu faire d’autre que de sortir mon carnet de ma sacoche pour gribouiller ce dont j’étais témoin, alors que cette monstrueuse créature se repaissait de sa victime.
J’ai laissé la bête à son funeste repas, ne cherchant pas à m’attirer sa rage. J’ai réussi à capturer quelques angles dans mes croquis, dont j’ai ensuite pu faire des portraits approximatifs.
Après cette rencontre, je brûlais d’en apprendre plus sur la bête. J’ai cherché, d’abord par moi-même, puis me suis résolue à aller chercher l’aide d’un expert.
N’importe quoi pour satisfaire ma soif de connaissance de cette nouvelle créature inconnue.
Le Fléau de Tournetombe
Il n’y a en ce monde qu’une organisation qui pourrait potentiellement savoir à quoi je me suis frottée à Saint-Castel, et ce sont les cultistes des Cent-Secrets. C’est vers eux que j’ai tourné mon regard lorsque mes propres recherches n’aboutirent à rien.
J’ai rencontré un Exorciste du culte, lui ai montré mes croquis et les maigres notes que j’avais pu recueillir suite à cette nuit. J’ignore s’ils ont simplement assumé qu’il serait mieux de me mettre en contact avec un membre de ma race, ou s’il s’agit d’une brillante coïncidence, mais je me suis entendue avec Nalaeryn immédiatement. Son expertise m’a été précieuse dans mes recherches.
J’ai profité de sa nature curieuse, je l’admets, mais c’était pour la bonne cause. Ensemble, nous avons cru judicieux de se faire victimes d’une chimère pour la prendre sous observation et mieux la comprendre. Le processus par lequel l’invocation s’est fait m’importe peu: seul le résultat compte. La chimère a mordu l’hameçon et a commencer à nous tourmenter. Nous passions tout notre temps ensemble pour contenir la contamination à un minimum.
Nous avons découvert que la chimère peut se nourrir de plus d’un individu à la fois, mais la montée de son influence se fait plus lente plus le nombre de victimes est grand. Avec seulement Nalaeryn et moi, quelques jours ont suffi pour développer des symptômes qui ne laissaient aucune place au doute; tous les matins, nous nous réveillions avec des marques sur le corps, ecchymoses, plaies ouvertes, assaillis de cauchemars sans fin, un sommeil tout sauf réparateur, anémie de plus en plus sévère. Le monstre se nourrissait d’abord de nos sentiments de peur pour prendre des forces et se donner forme physique, après quoi il allait tenter de nous dévorer, et passerait à sa prochaine victime. Malgré l’épuisement, Nalaeryn avait tout ce dont il avait besoin pour procéder à un exorcisme et une capture, et il se tenait prêt à tout instant.
Quand le monstre apparut, il revêtit une enveloppe presque féminine bien différente de celle, léonine, que j’avais entrevue à Saint-Castel. Cette fois, son visage était sectionné et son menton couvert d’écailles souples et pâles, ses yeux comme un puit sans fond, ses crocs aiguisés gouttant de venin. Ses bras étaient couverts de fourrure et de longues griffes allongeaient la portée de ses grandes mains. Nalaeryn ne la voyait pas, à cet instant. Elle n’existait que pour m’oppresser, maudite créature.
Après que mon partenaire aie procédé à la création d’un cercle de sel magique, nous avons réussi à emprisonner la chimère à l’intérieur, me laissant tout le loisir de la dessiner. Je pense avoir très bien capturé son air de haine silencieuse, alors qu’elle attendait, sans défense, le jugement qui lui tomberait dessus à tout moment.
Ce que le Culte a fait d’elle après notre départ, je n’en sais rien. Ça a peu d’importance à mes yeux.
Le Tourment de Navram
Nalaeryn s’est pris d’intérêt pour mon projet et m’accompagne maintenant dans mes voyages pour me servir de protection. J’avais en tête l’apparence de la chimère de Tournetombe et me demandait s’il en existait d’autres sous-races que les deux que j’avais rencontrées. Tomber sur une nouvelle victime près d’un an plus tard a été une coïncidence extraordinaire.
Nous logions dans une auberge de Navram quand nous avons rencontré des voyageurs affligés de cauchemars et montrant de clairs symptômes d’anémie. C’était un groupe d’une dizaine d’individus, tous ayant l’air mal nourris et épuisés. Ils se plaignaient d’insomnie depuis près d’une semaine, semblait-il. Nalaeryn et moi avons alors réalisé que pour que leurs symptômes soient déjà si nombreux et si répandus, cette chimère devait être monstrueuse, assez puissante pour se nourrir physiquement de tous ces hommes par elle-même.
Nous avons fait appel à d’autres occultistes et exorcistes de Tournetombe, mais ils ne sont malheureusement pas arrivés à temps.
Cette fois, le combat entre le prédateur et ses proies a été si sanglant et violent qu’une partie de la ville a été tirée de son lit pour y assister et tenter d’y mettre un terme. La bête avait cette fois une apparence beaucoup plus masculine quand Nalaeryn l’emprionna dans son cercle de sel. Le dos et les bras couverts d’écailles, mais le visage couvert d’une fourrure rêche et drue, elle avait des pupilles fendues à l’horizontal, comme celles d’un cheval ou d’une chèvre.
Nalaeryn est épuisé. Il a retenu ce féroce démon dans sa prison presque trois jours durant avant que ses collègues puissent marcher dans la ville et y mettre un terme.