Les Larmes de la Morrigan - I
Par Finn Ingisfal
Il se redressa dans la couchette, tiré de son sommeil par une terreur dont il ne
conservait aucun souvenir. Quelque part, quelques oiseaux régalaient l’univers de leurs
chansons. Dans la pénombre de la cabane se dessinaient une multitude d’étagères couvertes
de petits pots pleins de fleurs séchées, de bacs de cultures de champignons, et d’organes salés
et séchés de diverses créatures. La lueur de la pipe aux lèvres de l’autre homme assis dans la
pièce attira son regard, et Adrien reconnut l’occultiste qui l’avait ramené au hameau. Il expira
une fumée lourde et se leva en silence, poussant la porte. Le jour jeta son dévolu sur
l’intérieur de la cabane, révélant tous ses secrets. Les meubles mal dégrossis de l’occultiste, sa
petite collection de livres écrits en aslandais, en valgaardien, en nanique, la vieille épée. Rien
n’avait changé depuis la dernière visite de la sorcière. Et pourtant, il ressentait quelque chose
de différent dans la posture de sa soeur, qui posa ses yeux fatigués sur lui.
« Qu’est-ce qui te trouble, Doreg? » demanda Adrien. La question se perdit entre les
deux hommes, laissée tomber comme un poids mort. Le dénommé Doreg tira sur sa pipe une
nouvelle fois, détournant le regard vers le petit village qui s’étirait paresseusement sur le flanc
de la colline. La brise lui rendit la fumée qu’il tenta de souffler en-dehors, et il fronça les
sourcils.
« L’Aînée est morte. » Les mots de l’occultiste remplirent le vide tendu entre les deux
sorcières, avec le bref son de sa voix rauque autant qu’avec tout le sens de son énoncé. L’Aînée
de leur communauté, morte? Une sororité de Filles de la Morrigan sans chef, le chaos total. Il
ne fallait pas que ça dure. Adrien était déjà levé et allait enjamber le seuil de la porte, mais
Doreg lui barra le chemin en posant sa main dans l’embrasure.
« Laisse-moi sortir, » siffla Adrien. « Tu sais ce qu’il faut faire.
–Oui, » répondit l’occultiste, ses yeux comme des couteaux. « Et tu n’as pas ton mot à
dire au Conseil. Ni moi non plus, ni Esmée d’ailleurs. C’est de notre faute. »
Le souffle coupé, comme happé par un cheval en pleine course, Adrien fit un pas vers
l’arrière. Il regarda partout par terre, comme si la terre battue lui serait d’un quelconque
secours.
« La prisonnière? » balbutia-t-il. « C’est elle qui…
–A tué Fyrvalia, oui. » Il enleva sa lourde main du cadre de la porte. « En réveillant
son Don, ni plus ni moins.
–Tu veux dire qu’elle est une sorcière? » se surprit Adrien à crier.
Quelque part, les oiseaux s’étaient tus. Au loin, quelqu’un frappa six fois dans une
casserole. Ils se regardèrent tous les deux un instant, puis Doreg saisit la vieille épée et sortit,
talonné par Adrien. Les Chasseurs les avaient retrouvés.