Rapport d'expédition à Fyrstrad
Par Vinfried Bjornfal
Mon nom est Vinfried Bjornfal, anciennement éclaireur pour la Quatrième Compagnie des armées de Valgaard. Je dis anciennement car la dernière opération que la compagnie a entreprise lui a coûté la vie, à tout le monde sauf moi. Je ne sais pas si je dois m’en considérer chanceux ou maudit de devoir vivre avec les images et le savoir de ces événements…
La compagnie avait reçu l’ordre d’inspecter un événement bizarre entourant le village de Fyrstrad, un village bucheron fournissant une partie du bois d’œuvre servant à entretenir les infrastructures de Valgaard. Leurs Majestés avaient mis en garde les officiers de la nature de ce que nous allions affronter, Sa Majesté Einar l’avait qualifié de dangereux, alors que Sa Majesté Olven l’avait décrit comme incompréhensible à ce jour. Ils furent assurés de la volonté de la Quatrième Compagnie de suivre leurs ordres, jamais faillirons-nous à notre serment de protéger Valgaard.
Le voyage vers Fyrstrad avait été sans embuches, mais c’est l’arrivée près des lieux qui était étrange. Alors que nous nous rapprochions, un épais brouillard se leva. C’était bizarre du fait que Valgaard n’a pas un climat propice au brouillard. Les officiers se sont concertés et ont formé des escouades. Ils ont aussi envoyé les éclaireurs faire le tour du périmètre pour voir jusqu’où le brouillard se rendait et si nous pouvions le contourner. Les réponses revinrent rapidement : Fyrstrad était introuvable et le brouillard semblait l’avoir englouti.
Un plan fut alors formulé. Nous allions encercler le brouillard et le pénétrer en équipes en même temps pour nous retrouver à Fyrstrad et comprendre ce qui se passe.
Mon équipe fut assemblée et au signal nous sommes entrés. Les premières minutes de marche ont été longues. Nous restions proches les uns des autres, armes dégainées, incapables de voir à deux mètres en avant de nous. D’étranges bruits et grondements nous entouraient, mais nous étions prêts.
Puis, nous sommes passés à travers le brouillard. Comme le flot de la pluie battante coulant d’un toit, c’est comme s’il faisait un mur duquel nous sommes sortis, nous trouvant sur le chemin passant à travers les bois nous menant à Fyrstrad, à quelques choses prêts. Les arbres étaient couverts d’une épaisse couche de glace, comme après plusieurs jours de pluie verglaçante. Le brouillard derrière nous semblait monter jusqu’au ciel, couvert de nuages illuminés en permanence par des éclairs et de distants coups de tonnerre. Malgré les nuages, notre environnement était éclairé d’une lueur blanche douce, comme si la pleine lune brillait au-dessus de nous. Nous ne voyions aucune lune, évidemment.
Malgré les entourages incohérents avec nos attentes, le Sergent a ordonné d’avancer, ce que nous avons fait.
Notre avancée s’est faite à bonne vitesse. Le sol, quoiqu’enneigé et gelé, était ferme sur la route. Notre vision se perdait quand nous regardions dans les bois cependant. Soit les arbres devenaient trop dense, soit nous ne voyions pas suffisamment loin dans la forêt. Johan, un cuirassé de l’équipe ayant grandi à Fyrstrad, constatait que ça ne faisait pas de sens car les bois n’étaient pas aussi denses ni aussi grands. Le sentier aussi semblait anormalement long. Nous avions un plan, cependant, et n’allions pas en déroger.
Plus nous avancions, plus le paysage changeait. L’effet étouffant et oppressant de la forêt bordant la route s’intensifiait et à chaque mètre parcouru, il semblait que la glace qui parait les arbres était de plus en plus épaisse, ou du moins, que nous voyions de moins en moins d’arbre à travers la glace, comme si nous marchions dans une forêt de cristal fin.
Vint notre première rencontre avec… peu importe ce que c’était…
Nous estimions être près de Fyrstrad quand Johan fut pris d’un frisson, ce qui était surprenant pour plusieurs raisons : le temps était doux, nous étions bien habillés et Johan lui-même était un homme du nord bâti pour le froid, massif et velu. Puis ce fut à Greta, quoi que ses cheveux et sa cape furent emportés dans un coup de vent qu’elle seule a subi. Quand elle nous a regardé, nous avons constaté que son visage avait été lacéré de petites coupures.
C’est alors que ça s'est abattu sur nous. Une sorte de tornade de grêle acérée. Nous nous protégions du mieux que nous le pouvions, mais les morceaux de glace ne faisaient que devenir de plus en plus gros. Pour tenter de couper le vent et de s’en protéger, nous nous sommes dirigés vers les bois. Nous nous sommes sortis des bourrasques pour un court moment, mais les lames de glace se sont plantées dans les arbres et les unes dans les autres. Surpris, terrifiés, nous sommes restés pantois alors que devant nous une grande figure primitive faite de grossières écailles de glace s’est assemblée.
Son assaut renouvelé nous a sorti de notre torpeur et un violent combat s’est engagé. Le sergent pris les devants, il ordonna l’assaut d’un geste et d’un ordre et nous nous sommes lancés. Franchement, je ne saurais tout vous expliquer… une bataille est toujours confuse, mais nous étions pris au dépourvu. Notre entraînement ne nous avait pas préparé à affronter une entité de 7 pieds de haut, faite entièrement de glace. Néanmoins, nous sommes parvenus à vaincre la créature. À l’issue du combat, les morceaux de glace joint ensemble par une force inconnue constituant la créature avait fusionné pour devenir un corps de glace. Au bout d’ardus efforts nous en sommes venu à bout.
Elle aussi était venu à bout de certain d’entre nous. Erik, Gunnar, Mikkel et Karina n’ont pas survécus. « Nous ramasserons leurs dépouilles au retour… les autres nous attendent. » Le sergent ordonna-t-il. Malgré la grogne, il avait raison. Nous étions en situation désespérée. Nous devions nous en sortir avant de vivre notre deuil.
Le chemin vers Fyrstrad ne fut pas long à partir de ce point. N’empêchait que nous fussions tous de l’avis de Johan, ce n’était plus normal, ce n’était plus Fyrstrad. Lorsque l’éclaircis annonçant le village est arrivé en vue, les arbres n’étaient maintenant que des piliers de glace pliés à angles secs par endroit, comme une forêt après un incendie, mais exclusivement constituée de glace. Au-dessus de nous, le ciel s’est transformé en une version plus violente de ce qu’il était. Les nuages étaient maintenant gris et noirs, illuminés et même traversés d’éclairs. Une odeur de soufre semblait imprégner l’air.
Enfin à Fyrstrad, nous avons été désemparés de constater que le village n’était plus comme quiconque s’y attendait. Aucune âme qui y vive, les rues étaient vides. Les maisons ont été remplacés par de grandes pierres cubiques et évidées, comme une sculpture d’une maison surgissant de la glace, ou comme si la glace devenait de la pierre là où les fondations touchaient au sol. Ces monolithes étaient disposés en arc de cercle autour de la place centrale du village où des marchands et commerçants auraient vendus leurs biens. Devant nous, les nuages semblaient rouler et tomber, formant un autre mur impassable passé la frontière du village.
Au centre de la place publique, là où un puit se trouvait auparavant selon Johan, un étang circulaire miroitait. Par mon rôle d’éclaireur, j’ai pris de l’avance, épée en main, je me suis avancé vers l’étang. Malgré le paysage ésotérique et apocalyptique, l’eau était calme et réfléchissante. J’ai regardé autour de moi avant de donner un signe à mon officier comme quoi tout semblait sécuritaire.
À la surface de l’eau, mon reflet me regardait. Je l’ai regardé en retour, redressant ma posture pour faire mon rapport à mon officier qui s’approchait de moi. C’est à ce moment que mon reflet se mit à briller, une lueur bleu scintillante qui me fit faire plusieurs pas de recul. Un bras humanoïde, comme constitué de flammes bleus, perça la surface de l’eau, s’y appuyant comme si la surface était gelée pour s’en extirper. Une maigre figure apparue, entièrement constituée de flammes bleu, flottant juste au-dessus de la surface de l’étang.
Le figure et moi nous sommes observés pendant un moment, incertain de quoi faire. J’ai pris des pas de recul pour rejoindre mon unité. Le sergent a ordonné qu’on se mette en formation et la figure semble l’avoir observé, nous avoir observé.
Elle leva la main et se redressa, bombant le torse. Puis elle fit un geste que nous avons tous reconnu comme un signe voulant dire « à l’assaut ».
De l’étang et du brouillard surgirent d’autres figures enflammées. Elles avançaient d’un pas chaotique pour progressivement s’organiser et devenir cadencé. Une armée nous entourait.
Le sergent ordonna la retraite, mais la charge ennemie fut donnée. Je… Je ne sais pas ce qui s’est passé ensuite. J’ai couru. J’ai suivi mon entraînement qui me disait que si mon unité est en danger, alors il est de mon devoir de communiquer la tragédie à nos supérieurs. J’ai couru hors du village consumé par la bataille, le long du chemin de la forêt pétrifiée et à travers l’épais brouillard pour finalement en surgir et m’effondrer, haletant. Quand je me suis retourné, une seule silhouette bleue brillait à travers le brouillard mais s’est arrêtée là avant de disparaître.
Un homme est venu me voir, je lui ai dit ce qui est arrivé à mon unité, il a véhiculé le message à Leurs Majestés… J’ai attendu deux jours à l’orée de la forêt de Fyrstrad, adossé à une roche. Plus de Sergent, de Greta ou de Johan… Plus de Quatrième Compagnie, je suis tout ce qui en reste.